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Laurent Humbert
C’est un fait.2020 aura été une année spéciale pour tout le monde. Une période charnière faite de chamboulements. Une prison pour certains – une remise en question pour d’autres.Pour Sébastien Delage (moitié fondatrice de l’ex-duo Hollydays qui a sorti son album Hollywood Bizarre en 2018 chez Polydor), 2020 sera ni plus ni moins le déclenchement d’une nouvelle vie. Passer au travers du pire pour y trouver le meilleur.C’est décidé, les épreuves que la vie lui a envoyé seront le moteur d’un nouveau projet : celui de chanter !Car chanter, il ne l’a jamais fait, ou si peu. C’est pourquoi il décide de faire ce saut dans le vide et cette fois (presque entièrement) en solitaire – écriture / compositions / arrangements / voix.Déterminé à mettre en scène des histoires aussi sombres que solaires, ses obsessions, ses amours durables ou éphémères.Il offre un univers bipolaire qui lui ressemble et qui s’articule autour d’une musique qui peut passer brutalement du majeur au mineur. Il y expulse ses démons et ses désirs, souvent confondus d’ailleurs. Le parti pris pour les arrangements est radical, il faut que ça soit organique : voix-guitare-basse-batterie. Ses inspirations vont de Big Thief, à Angel Olsen en passant par Chad VanGaalen et Radiohead… mais en français.
Naguère une présence en creux, compositeur et musicien mais remarquablement silencieux dans l’ultime opus de Hollydays, Hollywood bizarre (2018). Seul album après 3 EP du duo Elise Preys-Sébastien Delage, ce manifeste d’une pop de choc, d’une écriture raffinée et sensible, ne met en lumière que la voix féminine, même si, sur le titre Léo, en soutien d’Elise, Sébastien est indispensable – ce que confirme le clip qui impose pleinement le versant viril d’Hollydays.
Hollydays : le jeu sémantique sur les vacances et le mirage californien ne cache pas l’empreinte mélancolique de l’aventure, sa compassion pour des temps difficiles et l’espoir qui n’abdique pas toutefois.
Mais la parenthèse se referme et Sébastien est seul désormais.
Fred Chichin sans Catherine Ringer, on ne connaîtra pas ; Daniel Chenevez sans Muriel Moreno à peine…
Sébastien Delage, lui, se révèle bientôt. Assumant sa voix en traçant crânement la sienne… Pas plus de posture que dans le duo évanoui, que ce soit dans l’EP, Fou (2021) ou aujourd’hui Rien Compris (2023).
Tout est signé d’une simplicité sans apprêt, comme celle qui frappe dans les reprises que Sébastien diffuse sur le net : Petula Clark ou Sylvie Vartan, Lio et Patricia Kaas, voire les Chats sauvages ou Madonna, en version française… Façon de donner à écouter vraiment un texte qu’on entend parfois sans en déceler le message.
Chaque relecture est empreinte de douceur comme de profondeur, sans souci de beau chant. Juste un nimbe de sensualité discrète mais prégnante qui dit la liberté, l’humilité de ce que ces interprétations révèlent de l’artiste. Ni exhibitionnisme ni forfanterie. Aucun indice d’arrogance de mise en valeur. Plutôt les étapes préliminaires de la mise à nu qu’offrent les chansons de Fou et Rien Compris. Jalons successifs de la même épiphanie – l’apparition d’un authentique enchanteur qui prétend ne pas plus savoir chanter que danser  – les titres ont la force de ce qui est désencombré des regards qui blessent – y compris le sien. Qu’ils évoquent l’intime ou non, qu’ils soient solaires ou plus sombres – et l’« excuse » de la bipolarité affichée dans Fou ne saurait tenir ni ternir l’évidente prouesse que qui s’affiche juste authentique, sans fard ni carapace – les textes de Sébastien Delage sont tous adressés. Avec simplicité mais une impeccable dignité. Poésie de l’envoi. Et c’est la légèreté de cette gravité qui enchante.
L’homme est généreux, engagé peut-être, mobilisé sûrement, inflexible sur ses valeurs mais sans cette ostentation qui irrite quand la posture l’emporte sur le message. De dévoilement en dévoilement – la matrice (L’Ossau, après Banlieue) comme la feuille de route sentimentale (naguère Les Garçons de l’Été et Chanson de Baise, aujourd’hui Polyamoureux Transi) – Sébastien Delage interroge le temps qui passe comme les sentiments et les pulsions qui agitent, sans illusion, sans concession, mais pas sans espoir. Est-ce ainsi qu’on peut jouir d’Une Longue Histoire à partager ?
Philippe-Jean Catinchi (Journaliste Le Monde)